LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE : le licenciement, ses avatars, l’œil du juge et des incertitudes pour l’entreprise

LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE : le licenciement, ses avatars, l’œil du juge et des incertitudes pour l’entreprise
Young male employee being fired from his work

► Motif économique non étayé = discrimination ?
Une réorganisation (interne) se traduit et termine par le licenciement d’un salarié en particulier. Embarras pour l’entreprise : la réorganisation a été opérée pendant un arrêt-maladie ayant concerné ledit salarié. Ce dont ce dernier se prévaut pour arguer d’une discrimination – en raison de son état de santé – dans la mesure où son absence maladie aurait constitué aussi bien la raison de la suppression de son poste que d’une opportunité pour le faire. Et l’on passe alors, pour l’entreprise, de l’embarras au (vrai) problème : les données comptables et financières, dont elle se prévaut, ne révèlent aucune difficulté économique avérée à la date du licenciement ; ce qui remet ainsi en cause la pertinence du motif invoqué, tend à valider l’argument du salarié et expose l’entreprise au risque de la nullité de la rupture (avec une éventuelle réintégration du salarié).
Cass. Soc. 10 juillet 2024, n°22-16805


► Ordre des licenciements et critère
des « qualités professionnelles » :
indicateurs… quoi et combien ?
En certaines circonstances, l’entreprise qui supprime un ou des postes doit opérer un choix parmi d’aucuns titulaires du (même type de) poste visé par la suppression et donc ainsi sélectionner le ou les salariés en « partance ». Cette sélection est opérée sur la base de critères ; lesquels sont fixés notamment par le Code du travail (article L. 1233-5) qui, au sein d’une liste, évoque la notion de « qualités professionnelles » sans pour autant en donner une définition. L’absence précitée conduit les entreprises, ou unilatéralement, ou par voie de négociation avec des représentants du personnel, à bâtir des systèmes, soit d’évaluation, soit de définition desdites qualités. À cet égard, il apparaît qu’une entreprise peut, sans encourir la critique et le reproche, utiliser un système – avec cotation et points attribués à chaque salarié – cristallisant la notion de « qualités professionnelles » autour du seul critère de la « mobilité » ; critère décliné, soit en mobilité « professionnelle » (aptitude au changement de poste et/ou contenu de fonctions), soit en mobilité « géographique » (aptitude à accepter des changements de lieu de travail). En pareil cas, la sélection des salariés (en partance) avec ce procédé est licite et n’entraîne aucune condamnation.
CE 12 avril 2024, n°459650


► « Reclassement » et mise en œuvre :
l’hypothèse de l’impossibilité (factuelle)
Validité et « validation » du licenciement économique sont conditionnées par le respect – par l’employeur – d’une obligation valant principe aux yeux du Code du travail (art. L. 1233-4) : celle de reclassement ; autrement dit de tentative, opérée au préalable, d’évitement de la rupture (définitive) du lien contractuel de travail par tout moyen (dont mutation géographique, changement de poste, etc.). Ce principe peut néanmoins connaître une exception : celle de l’impossibilité factuelle ; soit une situation de fait empêchant absolument toute mise en œuvre du reclassement. Il en va ainsi lorsque deux paramètres se cumulent : 1° - cessation totale et définitive d’activité de la structure employeur ; 2° - absence d’appartenance de cette structure à un groupe.
Cass. Soc. 27 mars 2024, n°22-23055


► Reclassement « individuel » et PSE :
l’homologation ne vaut ni dispense ni licence
Le problème avec le PSE, pour l’entreprise et en matière de reclassement, réside dans trois facteurs : 1° - le PSE induit une double obligation patronale de reclassement : a) une première de nature « collective » - bénéficiant aux salariés englobés par le PSE dont le licenciement ne pourra être évité, obligation due au PSE lui-même et donc organisée par celui-ci – b) une seconde « individuelle » applicable à chaque rupture (envisagée) de contrat de travail – à effet de l’éviter – et découlant du Code du travail (art. L. 1233-4) ; 2° - les deux obligations se cumulent (en cas de PSE) ; 3° - l’homologation administrative (DREETS) du PSE ne décharge pas l’employeur d’avoir à respecter (aussi) l’obligation « légale » de reclassement. Par conséquent, si une entreprise appartenant à un groupe se contente – en fait de reclassement – de proposer aux salariés des postes disponibles en interne, postes recensés et listés dans un PSE même homologué, sans démontrer avoir opéré, au préalable, une véritable tentative d’évitement des licenciements en effectuant, pour ce faire, des démarches spécifiques au sein de son groupe d’appartenance (ex. : courriers de sollicitation des différentes entreprises du groupe aux fins de recherche de postes et possibilités), alors ladite entreprise s’exposera – pour chaque rupture du contrat de travail concernée – au reproche du licenciement privé de cause réelle et sérieuse.
Cass. Soc. 15 mai 2024, n°22-60650


► Mode opératoire du reclassement :
notion d’offre « véritable »
Quid du reclassement dans sa dimension concrète ? Réponse : une proposition d’emploi que l’entreprise est tenue de formuler et que le salarié est aussi libre de refuser. Mais encore faut-il que l’offre soit ferme et réelle quant à ses substance et capacité à prévenir le licenciement (soit la rupture définitive du contrat de travail). Il n’en va pas ainsi quand la proposition se décline uniquement sous forme de « procédure de recrutement » (entretien avec une personne en charge de la vérification de l’adéquation entre capacités du salarié et caractéristiques de l’emploi proposé). Le fait que des candidatures multiples se manifestent pour un même poste ne constitue pas un argument ; de sorte que chaque licenciement concerné est réputé sans cause réelle et sérieuse.
Cass. Soc. 11 septembre 2024, n°23-10460


► Mode opératoire du reclassement :
impact de l’appartenance à un groupe
Le reclassement n’est pas seulement une obligation ; c’est aussi un processus, un procédé voire une « technique », particulièrement quand une entreprise appartient à un groupe (ici : hôtel ó groupe). Ce qui induit des conséquences dans les processus et procédés organisationnels du reclassement : 1° - quant à ce que l’entreprise n’est pas tenue de faire en termes de démarches de recherche de postes disponibles : pas d’obligation d’adresser aux autres sociétés du groupe un profil personnalisé des salariés menacés de licenciement ; 2° - quant à ce que l’entreprise est tenue de faire expressément : obligation d’indiquer la nature des contrats de travail menacés - des paramètres détaillés propres aux emplois et salariés concernés [dont : intitulé de poste - statut et coefficient dans la classification (entreprise ou branche) – qualification professionnelle]. Et si l’entreprise n’adopte pas la bonne démarche pour chaque salarié visé, chacun des licenciements sera réputé sans cause réelle et sérieuse.
Cass. Soc. 29 mai 2024, n°22-15565 et 22-15559


► PSE et plan de départs « volontaires » :
bon plan ou mauvais plan ?
Un PSE peut, soit dans son contenu même, soit en liaison avec un accord collectif d’entreprise spécifique, viser, envisager – voire même organiser dans le détail – un dispositif de départs volontaires (qui ? comment ? combien ?). Mais encore faut-il le faire avec le double souci de la cohérence et de la rigueur. 1er cas : mauvaise gestion du plan – l’entier cours de la procédure de licenciement économique collectif avec PSE est marqué par une succession d’erreurs et errements entièrement imputables au comportement inconséquent de l’entreprise, ce qui conduit un nombre important de salariés à démissionner et/ou refuser des offres d’embauche d’autres employeurs. Le juge impute l’entière responsabilité des problèmes à l’entreprise et, au passage, requalifie toutes les démissions en prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant systématiquement, dans chaque cas, les effets juridiques et financiers d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; 2e cas : bon déroulement (procédure + plan) – dès lors que certaines ruptures du contrat de travail ont pris la forme, à chaque fois, d’un accord amiable, accord s’insérant dans les prévisions d’un PSE comportant un plan de départs volontaires – PSE soumis notamment à l’avis des représentants du personnel (sans réaction d’opposition de leur part) – il en résulte que : 1° - principe : la cause de la rupture du contrat de travail (par voie d’accord amiable) ne peut pas (et plus) être contestée ultérieurement ; 2° - exception : cause et modalités de la rupture peuvent être contestées mais uniquement soit en raison d’une fraude (quelconque et de la part de l’entreprise), soit en raison d’un vice du consentement de chaque salarié concerné (ex. : dol/tromperie ou violence/pressions).


1er cas : Cass. Soc. 17 janvier 2024, n°22-22561 et 22-22564
2e cas : Cass. Soc. 26 juin 2024, n°23-15498, 23-15558 et 23-15567


 


Par Jean-Louis Denier, juriste d’entreprise