
• PROVISION POUR DÉPRÉCIATION (IMMOBILISATIONS) - DÉDUCTIBILITÉ CONDITIONNÉE - crainte, anticipation, prospective, réajustement peuvent expliquer qu’une société, en considération de ce qu’elle estime être une dépréciation de son fonds de commerce, constitue telle ou telle « provision » à finalité de compensation. Se pose alors la question de la déductibilité – de l’impôt sur les sociétés – des sommes ainsi provisionnées. Entre autres conditions à respecter, l’entreprise doit être en mesure de démontrer que la dépréciation a été constatée en conformité avec les exigences et normes comptables. Et si cela n’est pas entièrement le cas, telle ou telle justification objective doit pouvoir être apportée. Il n’en va pas ainsi lorsque la société n’est pas en capacité de prouver : 1° - que la valeur actuelle de son fonds (valeur vénale ou d’usage) est inférieure à sa valeur nette comptable ; 2° - la survenue de telle ou telle circonstance exceptionnelle avérée motivant le recours à un procédé d’estimation autre que celui de la valeur actuelle (exigence requise par : C. Com. art. 123-14 et PCG art. 214-6). Dans la présente affaire, la société échoue, d’une part, à faire ressortir l'existence d'un écart significatif entre valeur nette comptable et valeur d’usage – laquelle est, en l'espèce, supérieure à sa valeur vénale, ce d'autant plus que valeur ajoutée et CA de l'entreprise sont stables -échoue, d'autre part, à motiver la nécessité d'une dérogation aux suivi et observance des règles comptables habituelles.
C. Adm. App. Bordeaux 5 mars 2024, n°22BX02971
• TAXES LOCALES SUR LES PUBLICITÉS EXTÉRIEURES - CONTESTATION DU TITRE EXÉCUTOIRE - concernant la taxe locale sur les publicités extérieures - notamment les panneaux et affichage – une commune notifie à une entreprise plusieurs titres exécutoires à finalité de paiement (et si nécessaire, recouvrement forcé par voie de commissaire de justice en cas d'impayé). Seulement voilà : aucun de ces titres ne mentionne clairement la juridiction devant laquelle un recours en contestation peut être formé par l'entreprise. Ce qui amène le Haut Juge à considérer que - faute de titre assorti d’une mention précise des voies et délais de recours - la société débitrice de la taxe peut saisir le juge judiciaire, en contestation, sans être tenue ni par le délai de recours fixé par la loi ni par le délai raisonnable défini par le Conseil d'État.
Cass. Plén. 8 mars 2024, n°21-12560
• TENUE DE LA COMPTABILITÉ - DROIT À L'ERREUR
ET SES LIMITES - le Code des relations du public avec l’administration en institue le principe (et son exception) en ses articles L. 123-1 et L. 123-2 : toute personne peut commettre une (première) erreur de méconnaissance et/ou d’application d'une règle – dont celles fiscales – sans encourir de déconvenue corrélative si elle opère ensuite une rectification, soit de sa propre initiative, soit sur demande de l'administration ; mais encore faut-il être de bonne foi et/ou étranger à toute fraude. Il en va ainsi, pour les entreprises et en matière comptable, où l'erreur involontaire est admise par le Fisc. Mais encore faut-il qu'elle soit (véritablement) involontaire. Ce qui n'est pas le cas quand, à l'occasion d'une opération de prêt entre société et associés, une erreur – aux allures d'« habillage » comptable – intervertit la désignation nominative du créancier, la dette se trouvant alors comptabilisée au nom d’un autre créancier que le créancier véritable (qui avait opéré un virement à finalité de prêt à destination de l’entreprise française à partir d’un compte occulte basé en Suisse). Ce qui aboutit à un redressement avec pénalité de 40% au détriment de l’entreprise.
CE 22 mars 2024, n°471089
• VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ - TEMPO DU DÉBAT CONTRADICTOIRE - Charte du contribuable et principes de jurisprudence fiscale instituent une logique de « dialogue » lors des opérations de vérification et contrôle. Ce qui, entre autres, permet à une entreprise, objet d'une vérification de comptabilité, de pouvoir solliciter et obtenir du Fisc – notamment sous forme de communication de documents par ce dernier – un certain nombre de précisions et datas propres aux investigations menées et aux arguments et/ou chiffres invoqués pour motiver tels redressement ou proposition de rectification. Mais, côté entreprise, encore faut-il agir au bon moment ; tout en faisant montre de persévérance. Deux erreurs sont à éviter : 1° - celle relative au tempo : dans la mesure où la demande de communication de documents ne doit pas être opérée en cours de vérification (pendant les opérations), mais seulement une fois celle-ci terminée, au stade de la proposition même de rectification ; 2° - celle du renoncement trop rapide : l'absence de réponse du Fisc à la demande de communication de documents (puisque prématurée) ne doit pas entraîner un abandon de la requête ; celle-ci doit être réitérée postérieurement à la réception de la proposition de rectification émanant de l'administration. Faute de procéder ainsi, l'entreprise ne peut ultérieurement espérer voire remise en cause la validité de la procédure de vérification.
C. Adm. App. Toulouse 28 mars 2024, n°22TL21891
• VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ - LE « EN MÊME TEMPS » S'INVITE DANS LA PROCÉDURE - plusieurs garanties de « procédure » sont accordées à l'entreprise dont la comptabilité est vérifiée ; notamment en matière de phases et délais. À cet égard, l'article L. 47 du LPF pose un principe : un délai dit « raisonnable » doit séparer information préalable - matérialisée par l'envoi par le Fisc et la réception par l°entreprise d'un avis d'engagement d'une procédure de vérification - et début des opérations d'investigation elles-mêmes. Bref, l'entreprise doit pouvoir « se retourner » à effet de (pouvoir) se préparer, de sorte que le contrôle ne doit pas intervenir de suite. Que se passe-t-il si l'administration pratique le « en même temps », envoyant le même jour, et un avis (de vérification à venir), et une mise en demeure d'avoir à lui communiquer des documents (dont : déclaration de résultats + déclaration de CA relatives aux années vérifiées) ? Et bien, il ne se passe rien d'illicite. Pourquoi ? Parce que la notification d'une mise en demeure d'avoir à communiquer n'est pas assimilée à une phase de la vérification stricto sensu. Aussi ne nuit-elle pas à la garantie - offerte à l'entreprise - de pouvoir bénéficier d'un délai interstitiel suffisant entre avertissement préalable et début effectif de la vérification.
C. Adm. App. Toulouse 28 mars 2024, n°22TL00426
• CONVENTION DE « MANAGEMENT FEES » - DÉTACHER ET PAYER N’EST PAS FRAUDER – la compréhension de la logique du Haut Juge impose un préalable, celui d'un décor à planter. Car on se situe dans une configuration « groupe » : une société mère possédant des salariés en détache certains à effet d'aller exercer des mandats et/ou fonctions de présidence et/ou direction au sein d’une filiale (ici : SAS détenue à 51%). Ce service rendu n'est pas gratuit ; la mise à disposition de ces personnes (et compétences et savoir-faire) est payante. Ce paiement -cadré notamment par une convention entre entreprises prévoyant facturation - prend la forme du remboursement des salaires et autres avantages en nature servis aux individus ainsi détachés. À l'occasion d'un contrôle, le Fisc tente de remettre en cause le système précité. Il argue, pour ce faire, de l'existence d'un « acte anormal de gestion » : autrement dit, de décisions et procédés illicites car non nécessaires à la SAS et contraires voire nuisibles à ses intérêts propres. Afin d'étayer ce raisonnement, l'administration fait état de ce que le système critiqué n'a pas été approuvé en AG de SAS et que certaines dispositions statutaires relatives à la rémunération du président de la SAS n'ont pas été respectées. Le Haut Juge n'est pas convaincu, et ce pour plusieurs raisons, notamment au regard de ce que : 1° - les fonctions objets (présidence - direction) de la convention ont été réellement exercées (contrepartie réelle - absence de fictivité) ; 2° - les rémunérations et avantages servis (et remboursés par la SAS) ne présentent pas un montant excessif ; 3° - l’approbation des comptes (en AG de SAS) a visé clairement le système critiqué (convention + remboursement) et l'a donc ratifié et légitimé.
CE 26 avril 2024, n°458958
• NOTIFICATION DE RECTIFICATION - DE LA PROCÉDURE AU PROCÉDÉ - entre autres prérogatives, le Fisc possède celle de pouvoir rectifier une base d'mposition. Ce qui donne (immanquablement) lieu à réclamation d'un complément d'impôt à devoir payer. En pareille circonstance, l'entreprise visée dispose de garanties en matière de procédure et procédé notamment. Pourquoi ? Parce que la rectification n'est pas automatique. Elle donne lieu à formulation d'une proposition par l'administration fiscale. Assortie de précisions et motivations, cette proposition est transmise à l'entreprise concernée, laquelle, à partir de la date de sa réception, dispose d'un délai de 30 jours, soit pour l'accepter purement et simplement, soit pour en discuter des modalités en présentant, en retour, des observations au Fisc. La procédure précitée (LPF art. L. 57 et R. 57-1) peut, côté administration fiscale, achopper, c'est-à-dire rencontrer des difficultés du point de vue de la notification de la proposition de rectification, sachant que revient au Fisc la charge d'avoir à prouver que la proposition : 1° - est bien arrivée à l'entreprise destinataire (effectivité de la réception de la missive) ; 2° - est arrivée dans les temps (eu égard au délai de 30 jours). Faute de pouvoir le prouver, le Fisc se verra opposer l'argument de l'irrégularité de la procédure de proposition de la rectification, avec obligation de la recommencer. De sorte que le procédé de notification et transmission de la proposition peut acquérir - quant à ses nature et modalités - une importance capitale quant aux validité et validation de la procédure, notamment si ledit procédé se présente sous la forme : d’un envoi postal en recommandé avec accusé de réception : il est rappelé que ce procédé d’envoi est soumis à certaines dispositions réglementaires (CPCE art. R. 1-1-6) qui concernent remise et délivrance de la missive au destinataire ; si l’opération est impossible, le courrier non remis en mains propres est conservé en instance et à disposition de son destinataire au bureau de Poste pendant 15 jours (calendaires), ce dont le destinataire est informé ; passé ce délai, le courrier est retourné à l’expéditeur. Or, si ce délai d’attente avant retour n’est pas respecté, la Poste retournant au Fisc le courrier (de proposition de rectification) avant son expiration, donc par anticipation, cette anticipation suffit à invalider la procédure (fiscale) – l’entreprise étant collatéralement privée de son délai de 30 jours – même si l’administration fiscale n’a pas la mainmise sur les fonctionnement et rouages du courrier postal.
Cass. Com. 10 mai 2024, n°22-14130
• D’UN ROUTAGE PAR MAIL CONTENANT UN LIEN : le principe est d’origine jurisprudentielle, à savoir que, et au lieu d’utiliser la (seule) voie de la notification (postale) par recommandé avec AR, l’administration fiscale a le loisir d’utiliser un autre mode et procédé, dès lors qu’il offre des garanties d’efficacité et preuve équivalentes (CE 25 mai 2018, n°408443). Pour cette raison est validée la notification d’une proposition de rectification par voie de courriel dans la mesure où le courrier électronique : 1° - est routé vers l’adresse électronique connue et recensée de l’entreprise concernée ; 2° - contient un lien vers une application sécurisée de l’administration fiscale (permettant le téléchargement de la proposition de rectification et offrant une traçabilité de l’effectivité de la remise électronique du fichier de proposition à l’entreprise assortie d’une datation).
C. Adm. App. Paris 28 juin 2024, n°22PA05281
• FRANCHISE ET PAIEMENT DE DROITS - AMORTISSEMENTS DÉDUCTIBLES OU PAS ? – une société, appartenant à un réseau de franchises, expose certaines dépenses corrélées : versement d'un droit d'entrée + acquisition de droits d'exclusivité géographique. La société estime que les droits en question, qui ressortent de la catégorie des éléments incorporels de son actif immobilisé, peuvent faire l'objet d'amortissements assortis d'une déductibilité utile pour minorer sa base d'imposition. Refus du Fisc – confirmé par le juge – qui estime que la déductibilité est soumise à une condition, mais non remplie dans le présent cas. De quoi s'agit-il ? D'une addition de paramètres propres à ces éléments incorporels que sont les droits précités : 1° - paramètre de la cessation : les effets avantageux qu'ils procurent à l'entreprise doivent nécessairement prendre fin et donc présenter un degré certain de finitude ; 2° - paramètre de la prédétermination : dès la date de leur acquisition, le moment de la fin de leurs effets avantageux doit pouvoir être connu et déterminable à l'avance, donc, par la même, présenter une durée déterminée identifiable au départ. Ce qui n'est pas démontré ici par l'entreprise, ni par le biais de la fourniture de lettres de résiliation du franchiseur à d'autres franchisés, ni par la fourniture d'un courrier du franchiseur indiquant qu’il procède systématiquement à la résiliation des contrats de franchise en fin de période mais en précisant que cette résiliation est suivie de la conclusion de nouveaux contrats (ce qui tend à conforter l'idée d'une dimension « indéterminée » du contrat de franchise concerné et des droits qui s'y rattachent).
C. Adm. App. Marseille 23 mai 2024, n°22MA03049
CONTENTIEUX FISCAL – LE JUGE N’EST NI CORRECTEUR NI ASSISTANT – conduire une procédure à bonne fin revient, pour l'entreprise, à faire preuve de rigueur et de sens du détail. Et ceci, en toute autonomie et responsabilité.
Le juge, en effet, n'est pas là pour suppléer aux carences de l'entreprise. C'est le cas en matière d'arguments et fondements de ceux-ci. Aussi, en cas d’erreur, s'appuyer notamment sur des commentaires de l'administration fiscale faussement référencés dans les écritures présentées au juge - donc non susceptibles d'être invoqués à bon escient - ce dernier n'est pas tenu de faire l’effort d’aller chercher et trouver les commentaires exacts et adéquats pour fonder l'argument de l'entreprise. Celle-ci demeure prisonnière de son erreur et ne peut, dès lors, espérer faire prospérer sa cause avec succès.
CE 19 juillet 2024, n°474526
Par Jean-Louis Denier, juriste d’entreprise